vendredi 27 octobre 2017

Conte automnal



Il règne un grand silence dans la forêt que je traverse, à peine troublé par le vent dans les branchages. J’aperçois quelques oiseaux picorant sous les grands arbres et s’amusant avec les ombres projetées au sol. A mon approche, ils s’enfuient en pépiant, dérangés dans leur jeu mystérieux.
 
De rares petites fleurs se prélassent encore au soleil, conscientes qu’il sera bientôt temps de courber la tête aux premiers frimas et de disparaître à jamais. Soudain surgit un écureuil, les pattes chargées des trésors du jour. Il s’arrête un bref instant devant moi, me jauge avec curiosité puis, les moustaches frémissantes, il reprend son labeur en me jetant un dernier regard espiègle. Je jurerai qu’il m’a fait un clin d’œil avant de bondir derrière le talus, sa superbe queue touffue reluisant un court instant dans un rayon de soleil.

Respirant à plein poumons cet air vivifiant, j’observe avec ravissement les montagnes formant une barrière majestueuse au loin. Déjà saupoudrés des premières neiges, elles m’invitent à profiter encore de cette quiétude qui sera bientôt recouverte d’un blanc linceul.

Soudain, je sens que ma jambe est retenue par quelque chose qui me tiraille. Je baisse furtivement les yeux, pensant être accrochée à quelques piquantes brindilles qui parsèment le chemin de-ci de-là. Je reprends ensuite ma marche, décidée à rejoindre le plateau qui se love derrières ces sous-bois. Mais, une nouvelle fois, mon pas est gêné par une pression sur ma cheville. M’arrêtant encore, je ne distingue aucune herbe épineuse qui aurait pu me freiner dans mon élan et étonnée, j’essaie de trouver une explication rationnelle à ce phénomène. Mais aucune déduction plausible ne se présente à mon esprit.  A ce moment précis retentit un petit air siffloté, martelé avec gaité.

Devant moi, un arbre qui me semblait quelques minutes auparavant encore vert change peu à peu de couleur sous mes yeux écarquillés. Ses feuilles devenues d’un or flamboyant projettent des paillettes en tous sens. Un peu plus loin, c’est un mélèze qui scintille de mille feux entre les sapins jaloux d’un si bel apparat. Je retiens mon souffle car ce qui se passe devant moi relève d’un spectacle de magie. En effet, au fur et à mesure de mon avancée sur le petit sentier, les feuillus se transforment, changeant de couleurs, dansant dans une symphonie dorée, comme si une main invisible les transformait en torches ardentes.

Et c’est une polyphonie d’oriflammes qui m’enveloppe peu à peu, les arbres remuant imperceptiblement sur leurs racines comme si une force mystérieuse les secouait doucement. Le petit air siffloté joyeusement s’amplifie alors et la forêt entière se met à battre la mesure, les troncs tanguant et les pives au bout des branches de sapins virevoltant dans le vent. J’entrevois devant un tas de bois fraîchement coupé le petit écureuil facétieux, frappant la terre de la patte droite pour donner le tempo. Un cerf se cache à peine derrière un chêne centenaire, les bois occupés par de minuscules mésanges chantonnant. Heureux de cette animation, les champignons sortent de l’ombre et de leur humidité et entament une petite musette, faisant tournoyer leur chapeau et riant aux éclats. Et tandis que la fanfare de la forêt suit avec entrain sa partition, les arbres poursuivent leur métamorphose.

Alors que mes yeux s’émerveillent de ce spectacle inédit, j’aperçois un chapeau vert et pointu dodelinant entre les hautes herbes. Mais lorsque je tente de m’approcher de cette apparition, un rire étouffé retentit et l’étrange créature que je distingue à peine dans la pénombre des feuillages s’enfuit dans une gerbe de poussière ambrée. Je presse mon allure pour la rattraper mais le chapeau semble me narguer, se dandinant entre les troncs et à son passage, les arbres se penchent, agitant leurs branches et se couvrant de pépites jaunes et rouges. Soudain, la forêt s’élargit pour s’ouvrir sur une vaste clairière. Persuadée que je vais enfin coincer le bonhomme au chapeau dans ce paysage plus aéré, j’accélère le pas. Mais le soleil m’éblouit brusquement et je me retrouve projetée à terre. Alors que les cymbales de la fanfare sylvestre annoncent la coda de la symphonie automnale, comme si elles se moquaient de moi, je reprends lentement mes esprits, déçue de ne pas être arrivée à mes fins. Tristement, je rebrousse chemin, sans avoir pu attraper le petit être mystérieux. 

Le lendemain, assise dans mon fauteuil et perdue dans mes pensées, je me demande si l’épisode du jour précédent était réel ou simplement le fruit de mon imagination. C’est alors que s’élève le même petit air entendu la veille. Me levant très vite et retenant ma respiration, j’aperçois sur la table du salon quelques feuilles dorées posées délicatement sur un lit de mousse odorante. Un éclat de rire résonne. Me retournant en tous sens, je n’ai que le temps de distinguer un chapeau vert et pointu disparaître dans le conduit de la cheminée tandis que quelques feuilles voltigent encore dans l’âtre vide.  

C’est alors que me revient le souvenir d’un conte que me lisait ma tendre Maman. Il y était question d’un petit magicien bedonnant, coiffé d’un chapeau vert et pointu, qui parcourait la forêt l’automne venu. Touchant du bout de son doigt magique l’écorce rugueuse des arbres, il transformait la sylve en un tableau majestueux et mordoré. On l’appelait « l’allumeur d’arbres » et seuls celles et ceux qui avaient gardé un cœur d’enfant pouvaient furtivement l’apercevoir dans les bois. 

Une poussière d’or est restée longtemps en suspension dans mon cœur et dans la cheminée.


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P.S. Ce conte est dédié à ma chère Tilia, qui, j'en suis sûre, a dû rencontrer le petit bonhomme bedonnant lors de ses cueillettes de champignons. 

Et merci à Robert qui m'a inspiré ce texte. Ses photos automnales sont un enchantement.




Dédé © Octobre 2017

vendredi 20 octobre 2017

S'asseoir




S’asseoir et contempler. Respirer à plein poumons et observer le lent mouvement des branches que secoue doucement le vent sifflotant. Ecouter la mélodie du gai cassenoix moucheté qui virevolte entre les arolles centenaires. Percevoir le vrombissement des derniers insectes de la saison, pressés de profiter des rayons encore chauds du soleil. Admirer la lente danse de la feuille dorée qui délicatement se couche sur le chemin mystérieux. Et se laisser emporter par la course des nuages nous menant au-dessus des montagnes. Et peut-être même que si on gravit la surface moutonnée de ces géants qui sillonnent le ciel, on verra la mer. 

J’ai toujours affectionné l’automne. Petite fille, je me réjouissais de voir les arbres jaunir et de partir en quête des feuilles d’or afin d’en faire des bouquets colorés. J’aimais voir la désalpe des vaches et des moutons qui traversaient fièrement le village, les yeux pétillants, sonnailles joyeuses et l’estomac repu des bonnes herbes salées des alpages supérieurs. Et l’odeur du bois fraîchement coupé par le bûcheron dans les forêts voisines titillaient mes narines. Les automnes étaient frémissants de bonheur avant la neige dont on rêvait secrètement en s’imaginant dévaler les pentes sur nos luges bondissantes. 

Avant le long repos hivernal, l’automne bruisse de mille feux. La terre ralentit sa respiration et le cœur de l’homme, s’accordant avec le souffle de la nature, s’affranchit de tout le poids qui leste son quotidien. Calme et énergie circulent alors librement dans tout le corps et les yeux prennent le temps de s’émerveiller de la beauté magique de cette saison capiteuse. 

S’asseoir et contempler. Prendre le temps. Ralentir. Aller à l’essentiel. Et saisir à deux mains les doux rayons du soleil qui rendent ces journées si lumineuses. 

Laissons parler la nature qui a tant à nous dire et s’amuser le peintre de l’automne qui, pendant quelques jours encore, enchantera avec ses pinceaux virevoltants la robe satinées des arbres. Et quand la terre se vêtira de blanc l’hiver venu, nous nous réchaufferons en nous remémorant le fin frémissement des herbes folles et le joyeux pépiement des oiseaux dans les arbres de la forêt. 

Un souffle passe. Quelque chose nous dépasse. Et la vie simple culmine dans ces fragiles instants de bonheur. 







Dédé © Octobre 2017

vendredi 13 octobre 2017

Changement



Il y a des étapes à franchir dans la vie. Des décisions à prendre. Des pages à tourner.

Après un été très difficile, j’ai décidé de changer de lieu de vie. De quitter la ville car plus rien ne m’y retenait, même plus une activité professionnelle aujourd’hui terminée de manière abrupte, me laissant un arrière-goût amer et un combat à mener pour faire rétablir la justice. Et je suis revenue là où sont mes racines.

Entre les arbres et la montagne, je me fraie un chemin intérieur et j’inspecte mes aspirations. Je reprends des forces. Je contemple le lever du soleil tous les matins sur des sommets majestueux et j’espère que la lumière, diffuse encore entre les troncs, va éclairer ma vie d’un jour nouveau, chassant les sombres nuages qui avaient envahi trop longtemps mon ciel.

Oui, il y a des pages à tourner pour écrire un nouveau chapitre. Rien n’est encore acquis et la lutte va être longue. Mais ce petit oiseau qui vient me rendre visite sur le bord du balcon me chante la joie des arbres se parant de mille couleurs pour le grand bal de l’automne.

Je vais composer une nouvelle partition, une symphonie de notes enfiévrées qui retentissent déjà au fond de mes entrailles. Et je sais que, comme depuis le début, tu me guideras avec ferveur sur le chemin du bonheur.  


Pour la première fois depuis très longtemps, je sens que je suis enfin là où je dois être. Et je cueille les feuilles d'or.




Dédé © Octobre 2017

dimanche 1 octobre 2017

1 An

Glacier d'Alestch, Suisse



Au fil des saisons
Tresser des liens sur la toile
Rencontres inédites



Une année déjà que cet espace est ouvert. J'ai voulu en faire un lieu de rencontres et d'échanges. J'ai partagé avec vous mes escapades, mes photos et mes textes. Et j'ai eu du plaisir à vous retrouver à chaque billet.
 

Merci pour votre présence, pour tout ce que vous m'avez offert et qui est si précieux. Vous n'imaginez pas ce que cela représente de vous savoir fidèles et désireux de laisser vos impressions.

Je souhaite que la belle aventure continue mais elle ne peut se faire sans vous. Alors continuons à nous laisser surprendre par nos rencontres et faisons place à la magie des découvertes à travers la toile qui nous relie les uns aux autres.  C'est ce qu'exprime cet haïku de circonstances.
 

J'ai choisi, pour la photo du jour, une prise de vue du glacier d'Aletsch, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Lors de cette randonnée en montagne, j'ai ressenti une grande quiétude et une connexion quasi mystique avec les montagnes environnantes. L'alliance entre la pierre, la glace et une superbe forêt d'arolles centenaires était très émouvante et m'a apporté une grande force intérieure. C'est la magie de la montagne que je retrouve chaque fois avec un indicible plaisir lorsque je m'élève.

En admirant de telles beautés, on ne peut que s'extasier de ce que la nature nous offre, ici ou là. Mais elle est fragile et il est de notre devoir de la protéger mais aussi de respecter notre semblable. L'un ne va pas sans l'autre.

J'espère ainsi que nous continuerons à échanger nos impressions sur le monde qui nous entoure encore longtemps, dans un souci de curiosité et de respect, par des textes, des photos, de la musique. Comme des respirations dans un quotidien parfois bien trop pesant.


Merci à toutes et tous!

P.S. Mon accès internet est limité pour quelques jours. 



Dédé © Octobre 2017